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dimanche 1 août 2010

Track VI : Le rap d'adultes viendra finalement de Strasbourg.

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Aujourd'hui, Culture Street vous invite à découvrir un album de rap français loin des normes. Cerise sur le gâteau, son auteur, Sianard, a eu la bonne idée de nous le partager gratuitement via le site de son label : http://www.label-pib.com/

Sianard Blitzkrieg
Avant toute chose, il est nécessaire de savoir que ce court album qu'est Blitzkrieg est un prélude au suivant, intitulé "La théorie de la ruine". Pour l'histoire, le terme Blitzkrieg signifie "guerre éclair" en allemand. Ce terme qualifiait, pendant la seconde guerre mondiale, une stratégie militaire ayant pour but de détruire l'ennemi en le frappant sans relâche sur un laps de temps très court. Pour ceci, toutes les unités disponibles étaient de la partie, afin d'affaiblir rapidement soit le corps militaire, soit le corps économique, soit le corps politique... soit les trois. Pour Sianard, Blitzkrieg, c'est sa guerre éclair, et sa guerre éclaire.

Ce disque sort des sentiers battus du rap et s'empresse de réunir l'ensemble des données que le hip-hop français a longtemps occulté : la philosophie d'en bas, la spiritualité, l'économie territoriale et la militarisation des revendications sociales. N'ayant pas peur des mots, Blitzkrieg, la guerre qui éclaire, s'apparente à ce que l'on peut nommer un Grand Djihad : la nécessité de se combattre soi-même avant de chercher à combattre les défauts d'autrui. Et comme la fin du CD vise à nous le rappeler, ceci passe par le Pardon.

A écouter comme on déguste un livre, ce disque numérique gratuit, loin des codes du rap actuel, prône un retour aux valeurs et surtout à la matière grise. Cette guerre éclair nous provient de l'Alsace, à mi-chemin entre l'identité nationale d'une France moderne et celle que l'Allemagne proposait il y a de ça 70 ans. Autant prévenir, la réflexion de cette œuvre est marquée par les stigmates d'un racisme omniprésent contre le fort taux de mélanine. La guerre est lancée, et elle s'avère psychologique. Comme aime le dire Sianard : "La seule violence que nous tolérons est la violence intellectuelle du message." Là où le rap urbain d'aujourd'hui divise et divise sans cesse, Blitzkrieg partage et rassemble ("Cherche le complot là où il est. Shalom Hamdoulilah.")

A la production de cet opus de 11 titres, on retrouvera, sans ordre établi : Crown, ICBM, DJ P, Dooz Kawa et Sianard himself. L'ambiance miroite celle de la société de ce début de siècle : l'atmosphère dégagée est sombre, le propos est dur et froid malgré quelques touches d'humour ("Cherche pas du taff avec un bonnet"; "De toute façon, j'ai vu couler le béton des francs maçons").
Lors d'une première écoute, le disque dérange, puis nous amène à le réécouter attentivement et à y réfléchir. Rares sont les disques conçus comme des livres de littérature, et celui-ci l'est. Ici, on ne cherche pas à ressasser les vérités communes acceptées par tout un chacun... on cherche à élever l'auditeur, au sens premier de l'élévation, spirituelle ou morale.

L'œuvre numérique commence toute bonnement par une introspection efficace, DJ P aux manettes. Plus hip-hop que rap, l'introduction nous ramène aux sources, loin de l'utilisation intensive du vocoder : c'est le retour du scratch et des extraits samplés. S'ensuit alors un morceau dont Crown, le beatmaker en vue du moment dans le milieu Underground, assure l'instrumental : "Appelle toi Futur". Une courte introduction, une voix grave, hardcore sans crier, puis c'est au tour de la grosse caisse de s'introduire pour nous faire bouger la nuque. Le propos est grave, la vision de l'Avenir de l'humanité encore plus. Dure comme la réalité. Ce morceau est également une façon originale d'exploiter le thème de l'universalité : universalité des choses (banque mondiale), mais également universalité des faits (même au cimetière tu payes ta place). Si une chose est universelle, il s'agit bien de la nature humaine, et c'est ce que Sianard a compris.

Les deux morceaux suivants, "C'est pas écrit part.1" et "Parce que part.1", s'emboitent le pas. La cohérence est au rendez-vous. Derrière "C'est pas écrit part.1" se cache une nouvelle fois Crown. Le morceau a une double-portée, à la fois personnelle et universelle. Le doute, la certitude, mais surtout la déception, se font ressentir. "C'est pas écrit que t'es seul dans ce groupe, mais oui"; "C'est pas écrit, le racisme et ses excuses"; autant de phrases qui nous parlent, directement ou indirectement. "Parce que part.1" s'inscrit dans la lignée de celui-ci. A la prod, I.B.C.M nous offre un beat simple et efficace. Ce morceau peut être vécu comme une continuation du précédent, de par son ambiance musicale, mais également de par le thème général. Une fois de plus, que ce soit implicite ou entre les lignes, la nature humaine reste la cible principale, et le bon sens est prôné par l'auteur. Toutes les vérités sont bonnes à dire, mais certaines restent difficiles à entendre.

Arrive alors la première interlude de l'album, "Braquage à l'Alsacienne." Signé par DJ P, ce braquage se révèle bien plus mental que physique. Chaque phrase samplée relève d'une idée bien précise à véhiculer, et à cogiter. Il n'est pas anodin que cette interlude précède le morceau "Demain peut-être (Vive la France)". Là où le rap français se veut de plus en plus plaintif, Sianard nous offre ici l'inverse du larmoiement habituel. Certains esprits fermés ou butés considèreront sans doute ce track comme un "track collabo", un hymne à l'État français. Rewind and replay. Il ne s'agit évidemment pas d'un morceau faisant l'éloge de l'État français, mais d'un morceau soulignant la bêtise de notre génération ("J'insulte l'État en attendant son RMI"). Loin d'un éloge absolu ou d'une critique absolue, il s'agit de l'application du Juste milieu, et donc du concept le plus controversé à manier : l'objectivité. Ce morceau met une véritable claque aux fondamentalistes que nous sommes : soit tu es avec nous, soit tu es contre nous, soit tu es la rue, soit tu es l'État... l'immortel clivage collabo ou résistant en quelque sorte ! Il s'agit ici de dualité. La prod de Dooz Kawa est soignée, minutieuse. Certes elle tabasse, mais elle tabasse bien, sans prendre le dessus sur le texte. Le fond et la forme ne font qu'un. Sianard, armé de son esprit de thèse/antithèse, boucle alors ce morceau par une synthèse sous forme de proverbe : "On ne scie pas la branche sur laquelle on est, fiston, on la soigne." A méditer.

Vient alors la seconde interlude : "L'effet miroir". La prod signée Sianard est simple et terriblement efficace. Cinématographique même. L'écho du son principal "rebondit" et s'estompe. L'instrumental symbolise le froid, la réflexion. 30 secondes de sagesse dans un environnement qui n'y incite pas.

Le prochain titre, "L'orgueil en otage", fait balance avec le morceau "Demain peut-être". Thèse, antithèse, l'esprit de balance intellectuelle. Le thème : l'immigration africaine, l'accueil en France, et toujours les mêmes questions à développer : qui, pourquoi, comment ? Ce morceau est un condensé d'images en accéléré, du sondage ethnico-politique au syndrome du radiateur, ce ne sont pas les clichés qui défilent, ce sont leurs négatifs ! Crown propose ici une production des plus entrainantes, avec des sonorités d'accordéon accélérées, certainement pour symboliser ce que je surnommerais la "Francitude" de la nation d'accueil (concept inverse à la Négritude). Car enfin de compte, il s'agit également de ça : la capacité de cohabitation passe par la compréhension des raisons réelles et sans tabou de l'immigration; la finalité de notre coexistence étant évidemment la mise en pratique de cette capacité de cohabitation.

Neuvième morceau de l'EP : "Si j'étais le Diable". Le taff de Crown sonne électrique. Pas électro, mais électrique. Cet instru rappelle vaguement l'ambiance du troisième opus de la Rumeur, très injustement critiqué comme étant le "moins bon" (et sans arguments généralement). De la même manière que le titre "C'est pas écrit", il s'agit ici d'un morceau concept de répétition. Chaque début de phrase martèle l'esprit, chaque fin de phrase colporte une idée. Le thème n'est pas aussi précis qu'on peut le croire lors des premières écoutes. Il "navigue", se métamorphose au fil du track, tout en suivant une ligne directrice qui est celle de la pensé logique. Les idées se suivent, et là où beaucoup de rappeurs essayent de donner l'impression de "faire le tour de la question", Sianard plonge en plein dedans, et fait le tour de toutes les questions y en découlent ! Ce morceau exploite le concept de liens logiques à son paroxysme.

Avant dernier titre et unique featuring de l'EP : "Je te pardonne". Ambiance mélancolique et rédemptrice véhiculée par la prod de Sianard. Quelques touches de pianos et beaucoup d'humilité. La boucle est enivrante. Il s'agit ici d'une introspection faite à travers l'autre. Parce que la finalité du conflit c'est le pardon, Dardar et Sianard adressent à autrui leur réflexion personnelle sur 3 minutes et demi de musique, appuyés par Maeva et MeeLady pour les chœurs. Il ne s'agit pas pour autant d'un morceau mainstream de pleureuse avec les "pardons habituels". Ne vous attendez donc pas à entendre ce morceau en rotation FM. Les réflexions sont profondes, l'homme de l'album "a pris le temps d'être mûr". Il s'agit là d'un morceau qui traite en profondeur et de manière croisée la capacité sentimentale de l'individu et celle de sa tolérance.

L'album se clôt sur un morceau très sombre dont la prod est partagée par Sianard et DJ P : PTAC (Poids total avec charges). On finit donc ici sur un état des lieux général, tournant tout de même autour d'une ligne directrice qu'est l'intégration. "On est français par contumace". L'album, loin d'être idéologique, est comme nous l'avons vu construit sur une structure thèse/antithèse, ce track en est la synthèse. Car nous "sommes nés plus faibles que zen", thèse, antithèse et synthèse forment à elles trois les composantes de la prothèse nécessaire à nos cœurs pour en combler les faiblesses. Notre égo parsemé de blessures est en phase d'être soigné par la prothèse finale : ce morceau aide à éclaircir les titres précédents. Le poids total avec charges nous fait réfléchir sur la guerre intellectuelle qui vient d'avoir lieu en nous, sur l'effet d'un produit ayant brutalisé notre intérieur, et nous pousse à réécouter la galette aussitôt finie. Le scratch final a toute son importance. Démonstration d'un album hardcore sans crier, et sans pitié, car la pitié ne remplace pas le pardon.

ALBUM EN TÉLÉCHARGEMENT GRATUIT



BONUS : Afin de mieux comprendre l'album, je vous invite à jeter un œil sur un article fort intéressant rédigé par Sianard himself, "Le capitalisme c'est la nature humaine, le consumérisme est sa religion."
http://pibpress.wordpress.com/2008/02/21/le-capitalisme-c’est-la-nature-humaine-le-consumerisme-est-sa-religion/

6 commentaires:

  1. Et pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Sianard, je vous invite à regarder le portrait documentaire "20 minutes en mode Sianard" réalisé peu avant la sortie de "Blitzkrieg"
    http://www.wat.tv/video/20-minutes-en-mode-sianard-2r9mp_2g7qh_.html

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  2. Yes Arno, c'est l'objet du prochain article "interlude coup de coeur".. ;)

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  3. On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis.... on la soigne

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  4. Super article! Je confirme, Sianard nous invite à la méditation philosophique avec cet album, et ça faisait longtemps qu'un album de rap français n'avait pas fait cet effet....

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  5. Longtemps que je n'avais pas lu une vrai "Chronique", big up au rédacteur!!

    SIANARD a écouter impérativement!!!!

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  6. l'écriture est pure! ça claque dans la nuque!
    les vrais gens font le boulot
    merci au rédacteur et à la clarté des propos d'un homme foncé!

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